L’incendie millénariste

L’incendie millénariste

Réédition du livre publié en 1987, par deux membres du groupe Os Cangaceiros. Il est disponible à la bibliothèque du Malandrin à prix libre.

Extrait de l’introduction :

La fuite éperdue du monde sur les chemins de Compostelle, le refuge de la prière, l’asile de l’Église, le havre de grâce de la vie monacale n’ont pas été, fort heureusement, les seuls élans des hommes du Moyen-Âge vers le salut de la vie éternelle. Un autre courant, tout aussi puissant, a entraîné beaucoup d’entre eux vers un autre désir : la réalisation sur terre du Paradis, le retour à l’Âge d’Or. Ce courant est celui du millénarisme, le rêve d’un Millénium, mille ans de bonheur, autant dire l’éternité, instauré, ou plutôt restauré, sur terre.

À l’encontre de leurs contemporains, les millénaristes n’ont pas pris leurs rêves pour la réalité, ils ont voulu réaliser leurs rêves, ce qui est bien différent et autrement spirituel : jouir enfin de la richesse infinie de l’Esprit. À l’abandon vil, ils ont opposé le refus, l’insurrection, la révolution.

La croyance millénariste se développe sur fond d’apocalypse. L’apocalypse est l’affirmation d’une rénovation décisive : la Jérusalem céleste descendra sur terre. Le mythe se charge de rêves révolutionnaires ou mieux, les rêves révolutionnaires portent en eux le mythe millénariste. Le mythe millénariste est la conscience de soi de ces mouvements, ils y trouvent leur projet, ils y puisent leur langage commun, ils en reçoivent leur raison et plus encore, leur fondement.

Comme la critique de l’État a pu trop souvent rester sur le terrain de la politique, la critique du monde de la religion a pu être, elle aussi, religieuse. C’est le cas pour bien des mouvements millénaristes qui ont tenté de réaliser la religion sans la supprimer 1 si bien que réalisation comme suppression sont restées du domaine de l’imaginaire. Cela a permis à bien des historiens, dont Le Goff, de régler leur compte, vite fait bien fait, à ces mouvements avec toute la satisfaction de la bonne conscience bourgeoise ou stalinienne :
« Le désir lancinant que le millénarisme révèle d’aller “ au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ” n’arrive pas à imaginer un monde vraiment neuf. L’Âge d’Or des hommes du Moyen-Âge n’est qu’un retour des origines. Leur avenir était derrière eux. Ils marchaient en tournant la tête en arrière ».

Les rejeter ainsi dans une sorte d’archaïsme religieux, c’est chercher à mettre ces mouvements en dessous de toute critique, nous commençons à deviner pourquoi. Nous pensons, au contraire, qu’ils furent un, sinon le, moment essentiel de la critique du monde. Pour nous, la critique des mouvements millénaristes se trouve de fait au cœur de la pensée critique moderne.

Des éléments radicaux, les Frères du Libre Esprit, les Révolutionnaires londoniens, les Picards de Bohème, les Anabaptistes de Münster, sont apparus à l’intérieur de ces mouvements qui ont tenté de construire une pratique (et une pensée) qui a mis en péril l’ordre du monde. Leurs limites furent leurs défaites, non dans la pensée, mais dans la mort.
Parler des mouvements millénaristes revient donc à reconnaître cette radicalité dont ils étaient porteurs tout en s’interrogeant sur le pouvoir des représentations religieuses qui, dans la majorité des cas, n’ont pu être dépassées et supprimées.

L’intérêt révolutionnaire des mouvements millénaristes, par opposition aux hérésies et autres dissidences religieuses, se situe dans le fait que ces mouvements s’en prennent au monde de la religion et non simplement comme ce fut le cas pour les Vaudois, les Cathares, les Calixtins et plus tard pour les Luthériens, à l’Église catholique, à ses dogmes et pratiques, c’est-à-dire à la religion en tant que partie de la société.
Bien qu’elle dût, dans la plupart des cas, rester religieuse, la critique que représentaient les mouvements millénaristes dépassait le cadre restreint et institutionnalisé de la théologie. Ils ne proposaient ni une réforme de l’Église, ni l’institution d’un nouveau dogmatisme, bien que cela ait pu constituer le point de départ de certains mouvements comme dans le cas des hussites par exemple, mais la transformation radicale d’un monde où la religion « se présentait à la fois comme la société même, comme partie de la société, et comme instrument d’unification » (G. Debord, La société du spectacle).

En résumé nous pouvons dire que leur opposition n’était pas « formelle » mais religieuse dans la mesure où il s’agissait pour eux de réaliser la religion, que cette opposition est restée religieuse parce que cette critique amorcée de la religion a été défaite par les armes. Ce qui les concernait ce n’était pas la forme de la religion mais son essence, ce n’était pas la forme que peut prendre l’aliénation mais sa vérité (cf. Feuerbach, L’Essence du Christianisme).

Le livre est disponible en PDF sur le site de Basse Intensité. Plusieurs autres documents (textes antérieurs, brochures…) y sont présents.

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